« The Hunter and the Skeleton », premier film d’animation tibétain : splendide ! 

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par Brigitte Duzan, 21 novembre 2012

 

Apparu récemment, le cinéma tibétain, en langue tibétaine réalisé par des Tibétains, était représenté jusqu’à ces derniers temps par deux figures de proue : Pema Tseden, qui en est en quelque sorte le père fondateur, et Sonthar Gyal, qui apparaît un peu comme son disciple, étant son chef opérateur depuis ses premiers films.

 

Il faut désormais ajouter un troisième réalisateur qui vient d’apparaître dans un domaine inattendu : le cinéma d’animation. Découvert à Paris au festival Shadows en novembre 2012, après l’avoir été en août à Songzhuang au 9ème festival du cinéma indépendant chinois, puis un mois plus tard au festival de Vancouver, « The Hunter and the Skeleton » (《猎人与骷髅怪》) s’est fait remarquer partout pour son originalité et sa qualité, de conception comme de réalisation.

 

The Hunter and the Skeleton

Un film puisant dans une très ancienne tradition

 

Le scénario reprend une vieille légende tibétaine : une nuit, un chasseur rencontre dans les montagnes un squelette, esprit maléfique avec lequel il conclut un pacte pour échapper à la mort. L’autre s’attache alors à ses pas, et le malheureux chasseur doit trouver un moyen de s’en débarrasser avant d’arriver au village, pour éviter qu’il n’y sème la terreur.

 

Cette légende remonte à un fond de croyances qu’il convient d’analyser, sans prétendre à une étude poussée, mais afin de mieux comprendre l’iconographie qui lui est liée, et qui est à la base du film. 

 

Une légende ancrée dans la religion bön

 

Monastère bön de Zharu à Jiuzaigou (Sichuan)

Le squelette est une figure spécifique d’une tradition tibétaine qui remonte à l’époque 

pré-bouddhique, et plus précisément à la religion bön qui a été interdite et persécutée au Tibet au septième siècle de notre ère, mais dont les principaux textes sont postérieurs, manifestant des influences croisées. La religion a en effet connu une renaissance sous forme monastique au onzième siècle, après la seconde transmission du bouddhisme tantrique, les deux religions maintenant des contacts.

 

La religion bön a finalement été reconnue par l’actuel 

dalaï-lama comme représentant la cinquième tradition tibétaine. Un certain nombre de monastères détruits pendant la Révolution culturelle ont depuis lors été reconstruits, dont celui de Zharu au Sichuan qui manifeste un syncrétisme stylistique typique.

 

Malgré les persécutions des lamas, la religion bön est restée relativement vivante dans le peuple, mais surtout dans les régions du Tibet oriental et du sud-ouest qui, depuis longtemps sous contrôle chinois, n’étaient pas sous le contrôle direct des lamas. De type animique et chamanique, la religion populaire bön se traduit dans la pratique par un ensemble de cultes rendus à des esprits néfastes dont il s’agit d’enrayer l’action par diverses pratiques, à base de méditation, magie, transes et exorcismes.

 

Un thangka représentant 

les squelettes gardiens des cimetières

Le squelette

 

La légende du chasseur et du squelette vient, typiquement, du Tibet oriental. Les squelettes figurent 

 

détail

parmi les esprits maléfiques de la religion bön, des esprits terrestres opposés aux esprits célestes. Crânes et squelettes font d’ailleurs partie des symboles ornant la tiare et les vêtements cérémoniels des prêtres, les coupes sacrificielles étant souvent formées d’un demi-crâne.

 

On retrouve la figure du squelette dans une danse populaire tibétaine, la « danse du squelette », instituée au huitième siècle par le Guru RinpochéPadmasambhava, fondateur de la tradition nyingmadu bouddhisme tibétain. Dans ce cas, il s’agit d’une figure syncrétique, devenue un esprit protecteur des charniers et des cimetières (1), et une représentation de l’impermanence des choses, et de la vie. 

 

Le chasseur

 

Le chasseur, quant à lui, est un personnage tout aussi symbolique dont on trouve une représentation dans la légende de Milarepa. Alors qu’il méditait dans la forêt, Milarepa voit arriver un cerf qu’il persuade de ne pas craindre d’être chassé ; puis apparaît un chien que Milarepa convainc de ne pas tuer, puis le chasseur qui est à son tour convaincu de l’erreur

L’inspiration du squelette du film

fondamentale de ses agissements et devient un disciple fidèle, vivant dès lors selon le saint principe que 

tout être doit être protégé et sauvé. 

 

Illustration moderne de la légende« The Hunter and the Skeleton », premier film d’animation tibétain : splendide ! 

par Brigitte Duzan, 21 novembre 2012

 

Apparu récemment, le cinéma tibétain, en langue tibétaine réalisé par des Tibétains, était représenté jusqu’à ces derniers temps par deux figures de proue : Pema Tseden, qui en est en quelque sorte le père fondateur, et Sonthar Gyal, qui apparaît un peu comme son disciple, étant son chef opérateur depuis ses premiers films.

 

Il faut désormais ajouter un troisième réalisateur qui vient d’apparaître dans un domaine inattendu : le cinéma d’animation. Découvert à Paris au festival Shadows en novembre 2012, après l’avoir été en août à Songzhuang au 9ème festival du cinéma indépendant chinois, puis un mois plus tard au festival de Vancouver, « The Hunter and the Skeleton » (《猎人与骷髅怪》) s’est fait remarquer partout pour son originalité et sa qualité, de conception comme de réalisation.

 

The Hunter and the Skeleton

Un film puisant dans une très ancienne tradition

 

Le scénario reprend une vieille légende tibétaine : une nuit, un chasseur rencontre dans les montagnes un squelette, esprit maléfique avec lequel il conclut un pacte pour échapper à la mort. L’autre s’attache alors à ses pas, et le malheureux chasseur doit trouver un moyen de s’en débarrasser avant d’arriver au village, pour éviter qu’il n’y sème la terreur.

 

Cette légende remonte à un fond de croyances qu’il convient d’analyser, sans prétendre à une étude poussée, mais afin de mieux comprendre l’iconographie qui lui est liée, et qui est à la base du film. 

 

Une légende ancrée dans la religion bön

 

Monastère bön de Zharu à Jiuzaigou (Sichuan)

Le squelette est une figure spécifique d’une tradition tibétaine qui remonte à l’époque 

pré-bouddhique, et plus précisément à la religion bön qui a été interdite et persécutée au Tibet au septième siècle de notre ère, mais dont les principaux textes sont postérieurs, manifestant des influences croisées. La religion a en effet connu une renaissance sous forme monastique au onzième siècle, après la seconde transmission du bouddhisme tantrique, les deux religions maintenant des contacts.

 

La religion bön a finalement été reconnue par l’actuel 

dalaï-lama comme représentant la cinquième tradition tibétaine. Un certain nombre de monastères détruits pendant la Révolution culturelle ont depuis lors été reconstruits, dont celui de Zharu au Sichuan qui manifeste un syncrétisme stylistique typique.

 

Malgré les persécutions des lamas, la religion bön est restée relativement vivante dans le peuple, mais surtout dans les régions du Tibet oriental et du sud-ouest qui, depuis longtemps sous contrôle chinois, n’étaient pas sous le contrôle direct des lamas. De type animique et chamanique, la religion populaire bön se traduit dans la pratique par un ensemble de cultes rendus à des esprits néfastes dont il s’agit d’enrayer l’action par diverses pratiques, à base de méditation, magie, transes et exorcismes.

 

Un thangka représentant 

les squelettes gardiens des cimetières

Le squelette

 

La légende du chasseur et du squelette vient, typiquement, du Tibet oriental. Les squelettes figurent 

 

détail

parmi les esprits maléfiques de la religion bön, des esprits terrestres opposés aux esprits célestes. Crânes et squelettes font d’ailleurs partie des symboles ornant la tiare et les vêtements cérémoniels des prêtres, les coupes sacrificielles étant souvent formées d’un demi-crâne.

 

On retrouve la figure du squelette dans une danse populaire tibétaine, la « danse du squelette », instituée au huitième siècle par le Guru RinpochéPadmasambhava, fondateur de la tradition nyingmadu bouddhisme tibétain. Dans ce cas, il s’agit d’une figure syncrétique, devenue un esprit protecteur des charniers et des cimetières (1), et une représentation de l’impermanence des choses, et de la vie. 

 

Le chasseur

 

Le chasseur, quant à lui, est un personnage tout aussi symbolique dont on trouve une représentation dans la légende de Milarepa. Alors qu’il méditait dans la forêt, Milarepa voit arriver un cerf qu’il persuade de ne pas craindre d’être chassé ; puis apparaît un chien que Milarepa convainc de ne pas tuer, puis le chasseur qui est à son tour convaincu de l’erreur

L’inspiration du squelette du film

fondamentale de ses agissements et devient un disciple fidèle, vivant dès lors selon le saint principe que 

tout être doit être protégé et sauvé. 

 

Illustration moderne de la légende